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Témoignage de Gilles Blancon |
Voici le témoignage de Gilles Blancon, auteur entre autres de
L'affaire Vera Cruz et de L'affaire Sydney édité chez Infogrames.
Propos recueillis par e-Mail par Yoann Riou le 7 Juillet 2005. |
Bonjour Gilles Blancon. Pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ? |
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Gilles Blancon, né en 1960, scolarité normale dans le privé jusqu'à ma crise
d'adolescence (certains diraient mon envie de voler de mes propres ailes) en terminale qui se termina par
un BAC S bâclé et bien sûr raté (on notera néanmoins le côté matheux du
garçon), et à devancer l'appel du service national dans la Gendarmerie. Et c'est dans cette
même Gendarmerie que je m'engagerai un an plus tard après avoir réussi les tests de
sélection. C'est durant mon affectation dans la Loire que je m'intéresse à la micro
informatique naissante pour occuper mes soirées d'astreinte.
Mon premier micro fut un Commodore VIC 20 (3,5 ko de RAM) que je revendais 3 mois plus tard après avoir
épuisé toutes ses ressources en programmation BASIC. Je suis par la suite passé d'un
Oric 48 à un Spectrum pour finir sur un Amstrad CPC 464.
Et c'est sur cette machine disposant d'un
excellent basic et de capacités graphiques honorables que j'ai pu enfin programmer un véritable
jeu, nous étions en 1984. Il s'agissait d'un strip-poker où l'on jouait contre l'ordinateur. Lorsque
l'on gagnait, la playmate quittait un vêtement, dans le cas contraire, elle en remettait un.
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N'ayant pas
d'imprimante, je m'étais rendu dans la boutique où j'avais acheté le micro pour sortir le listing
du programme. Le revendeur, surpris par la qualité du jeu, m'a incité à le proposer à
des éditeurs. Il m'a lui-même noté les adresses de cinq éditeurs, m'a fait le
brouillon de la lettre à adresser à chacun d'eux et nous avons dupliqué la cassette du
programme en cinq exemplaires (et oui, à l'époque, pas de CD, de Memory key, ni-même de
disquette sur ces micros).
Après avoir envoyé mes cinq cassettes, j'avais la surprise quelques jours plus tard de recevoir
autant de réponses. Un seul éditeur refusait mon jeu poliment en arguant qu'il se cantonnait au
domaine professionnel. Les 4 autres réponses étaient positives, l'un voulait me faire signer un
contrat d'exclusivité, un autre me demandait de compiler les graphismes, un autre encore souhaitait que
je réalise une page d'introduction, et le dernier (Core à Evry) joignait directement un contrat
par lequel il s'engageait à éditer et à diffuser mon jeu contre des royalties de 10 francs
par jeu vendu.
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 Strip Poker sur CPC |
Je signais donc avec Core qui diffusa mon jeu durant une année, jusqu'à ... ce que
la société disparaisse avec mes royalties. Toutefois l'expérience était positive,
Core m'avait fourni de nombreux matériels (CPC 464, RAM additionnelle, lecteur de disquette
supplémentaire, imprimante, etc ... ) et surtout mon premier logiciel assembleur/désassembleur
Z80 avec 3 ou 4 bouquins sur le sujet et la technique de programmation en assembleur.
 L'Affaire Vera Cruz sur Thomson |
C'est donc mieux équipé que je poursuivais cette aventure et que je réalisais L'Affaire
Vera Cruz (une enquête menée par un gendarme pour changer de l'habituel limier policier).
C'est avec Infogrames cette fois que je traitais car malgré les propositions de Core, je sentais
cette société loin d'être à la hauteur des Infogrames, UBI Soft et
autres (sa cessation d'activité quelques mois plus tard m'avait donné raison).
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Je suis par la
suite resté fidèle à Infogrames chez qui j'avais reçu à l'époque un
accueil très franc et j'y avais trouvé une super équipe, des programmeurs passionnés,
des graphistes à la pointe, une direction performante et visionnaire. Brunot Bonnel et Christophe Sapet,
les gérants de l'époque, étaient eux-mêmes à l'origine des programmeurs qui
avaient écrit un livre sur la programmation d'un des premiers micro-ordinateurs, un Texas Instrument
si je me souviens bien. De plus chez Infogrames, les auteurs indépendants étaient assistés
autant que de besoin. Nous pouvions toujours être en contact avec un membre de l'équipe selon
l'objet de notre question, programmation, graphisme, animations, royalties, etc ...
Après deux autres jeux, j'ai fini par jeter l'éponge en 90 lorsqu'il est apparu flagrant qu'un
auteur indépendant ne pouvait plus à lui seul s'acquitter de la tâche que représentait
la réalisation d'un jeu à partir de cette époque. Je suis maintenant Lieutenant après
avoir servi dans trois brigades de gendarmerie (dans la Loire et en Martinique) comme enquêteur jusqu'il y
a une dizaine d'années. Période où la Gendarmerie a considéré que mes
compétences dans le domaine informatique seraient mieux utilisées à Paris qu'à
poursuivre les délinquants. J'exerce donc maintenant des fonctions de chef de projet informatique à
la Direction Générale et suis titulaire d'un BTS informatique option réseau que j'ai obtenu
à 39 ans en candidat libre pour avoir le plaisir de l'annoncer à mes parents (ma maman qui a
été institutrice n'avait pas été très fière de son aîné au
moment du BAC).
Quels sont les jeux que vous avez ecrit ou adapté ? |
J'ai réalisé :
- Strip Poker sur Amstrad CPC 464 édité par Core à Evry
- L'Affaire Vera Cruz sur Amstrad CPC 664 édité par Infogrames à Villeurbannes (enquête gendarmerie)
- L'Affaire Sydney sur Amstrad CPC 6128 édité par Infogrames (enquête gendarmerie)
- L'Affaire Santa Fe sur Amstrad CPC 6128 édité par Infogrames (aventure western)
Les affaires Vera Cruz et Sydney ont été adaptées sur diverses machines ; Thomson TO7 et MO5,
SPECTRUM, MSX et traduites et diffusées dans plusieurs pays ; Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie, et
Hollande je crois me souvenir.
Toutes ces adaptations et traductions ont été réalisées par Infogrames sauf
les versions Thomson que j'ai réalisé en un week-end avec mon frère Philippe.
Infogrames m'avait prêté un MO5 et mon frère avait un TO7 perso. Il connaissait
déjà bien le BASIC Thomson et Infogrames m'avait fourni une moulinette pour transférer mes
graphismes et des primitives d'affichage maison pour remplacer les miennes, spécifiques au Z80 du CPC.
Comment compareriez vous les ordinateurs Thomson par rapport à ses concurrents de l'époque ? |
 Méfiez-vous de Philippe & Gilles Blanc dans l'Affaire Vera Cruz |
La réponse ne va pas plaire aux passionnés que vous êtes des micro-ordinateurs Thomson ... mais honnêtement, ils valaient rien : la membrane lamentable du TO7, les touches caoutchouc du MO5, etc ... Si le ministère de l'éducation n'avait pas été là pour commander tout le stock ... A l'époque ce sont les Amstrad CPC qui étaient de loin les meilleures machines.
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Qu'est-ce qui vous a inspiré L'Affaire Vera Cruz ? |
J'ai imaginé le scénario en m'inspirant de ma propre expérience en matière
d'enquête judiciaire. Ca a été le cas également de L'Affaire Sydney où
les graphismes des personnages et même de la scène du crime sont directement issus de ma vie
professionnelle. Par contre, les noms des personnages sont souvent un méli-mélo des noms et
prénoms de mon entourage immédiat, ma famille, mes copains, mes collègues.
Ils ont tous beaucoup rigolé à retrouvé leur nom dans les personnages des jeux.
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 L'Affaire Sydney sur Thomson |
Le nom de Véra Cruz m'est venu après bien des essais. J'ai essayé d'associer un
prénom original féminin avec un nom étranger. Le nom de la ville de Santa Cruz
m'avait marqué car je suis un fan de Western et la prononciation espagnole sonne bien.
Vos collègues de la Gendarmerie ont-ils joué avec vos enquêtes ? |
Oui, mes collègues gendarmes ont joué avec mes enquêtes et il a
même été question à une époque de s'en inspirer pour mettre en place de
véritables simulateurs d'enquêtes dans certaines formations de police
judiciaire.
De plus, mes camarades les plus proches m'ont également servi de cobayes
pour tester mes jeux tant sur le plan technique (tout faire pour essayer
de les planter) que sur le plan réalisme du scénario.
De nombreuses personnes, camarades ou pas, m'ont parfois demandé des
conseils pour avancer dans les enquêtes. Je les ai rarement aidés car
nous avions convenu avec Infogrames de mettre en place un numéro de
téléphone (que l'on trouve au cours de l'enquête) faisant office de
"Huggy les bons tuyaux". Si les joueurs appellent en désespoir de cause,
ils tombaient sur une secrétaire de l'éditeur qui prenait note du niveau
atteint par le joueur, de ses impressions, et l'aidait ainsi à passer à
l'étape suivante en lui donnant une information que manifestement le
joueur n'avait pas relevée. Ce moyen permettait aussi à l'éditeur de
prendre le pouls du public vis-à-vis du jeu et donc d'orienter les
futures créations.
Que vous remémorez vous lorsque vous pensez à cette époque ? |
Comme je l'ai dit plus haut, à l'époque, un auteur pouvait faire un jeu seul. Personnellement
je créais le scénario et le programmais en BASIC ou en C. Je réalisais les graphismes
avec mon propre éditeur graphique très rudimentaire et les compilais avec mes propres routines
programmées en assembleur. Je mettais en place également une première protection interceptant
des saisies au clavier en dehors des évènements prévus de saisie qui effaçait
la mémoire. Infogrames ajoutait sa propre protection, et prenait à sa charge la conception musicale
et les bruitages. Créer un jeu maintenant demande une équipe projet complète et des moyens
financiers considérables. Ce qui me fait dire avec humour qu'à l'époque nous avons
été des pionniers et qu'aujourd'hui nous ne sommes plus que des ancêtres.
Je garde une certaine nostalgie de cette époque mais pas seulement en raison de cette aventure
multimédia car dans le même temps j'ai connu une affectation outre-mer très palpitante.
Par contre j'estime que cette passion tellement décalée avec ma profession m'a permis de me faire
une place singulière dans la Gendarmerie et de faire évoluer très convenablement ma
carrière.
Qu'est-ce que cela vous fait d'être contacté par des gens qui vous parlent de ce que vous avez créé 20 années avant ? |
 L'Affaire Santa Fe sur CPC |
Ca m'amuse, c'est tout, et ça flatte mon ego. A part cela, ça me prend du temps car j'en suis
à ma quatrième soirée pour répondre à votre entretien entre occupation
familiale et professionnelle, et aussi, ludique ... et oui, je me suis passionné maintenant pour le
golf en journée et les "dooms likes" en réseau comme Call of Duty en soirée.
Concernant les sollicitations, elles sont assez rares. Tout au plus ai-je reçu quelques courriers de
gens, passionnés des "affaires", qui comme vous ont réussi à me retrouver. Auteur dans
les années 85-90 ne nous transforme tout de même pas en star même nationale.
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Avez-vous une ou des anecdotes à partager ? |
J'en aurais des dizaines à vous conter mais je vais vous en donner une un peu en marge de la partie
technique des choses.
Vous avez noté que mon premier jeu a été édité par
la société Core qui était installée à Evry. Et durant l'année qui
a suivi ce premier contrat pour lequel je devais toucher 10 francs par jeu vendu, j'avais développé
L'Affaire Vera Cruz. Evidemment, cet éditeur m'appelait souvent pour savoir si j'avançais sur ce
projet et lorsque j'ai eu une version assez aboutie, il m'a offert un aller retour province Evry pour venir leur
présenter la bête. Et c'est ainsi que je me retrouvais quelques jours plus tard dans les locaux de
Core à faire une présentation de mon jeu quasiment terminé devant le staff réuni ;
patron, programmeurs, comptable etc ...
N'ayant toujours pas touché de royaltie de cet éditeur
depuis la diffusion quelques mois plus tôt de mon premier jeu, je restais assez prudent et notamment j'avais
pris garde de ne pas laisser ma disquette dans le micro. Ceci fait, le patron en extase devant les perspectives
de vente du jeu, m'invite dans son bureau pour discuter du contrat. Et c'est là qu'une caméra
cachée aurait trouvé sa place. Le patron appelle sa secrétaire pour qu'elle lui amène
le contrat préparé :
-Regard souriant très pro de la secrétaire.
Il me propose alors
d'emblée un contrat identique au précédent, c'est-à-dire m'offrant 10 francs par jeu
vendu. Je lui explique gentiment qu'entre le premier jeu Strip-Poker et celui-ci, il y avait un gouffre.
Il rappelle alors sa secrétaire en lui demandant de refaire le contrat à 11 francs :
-Regard toujours
souriant de la secrétaire.
Nous discutons encore et marchandons entre gens de bonne compagnie. Sa
secrétaire ramène le contrat à 11 francs et sans même que nous le lui prenions
des mains, il lui demande donc de le refaire avec 12 francs :
-Regard morne de la secrétaire.
Celle-ci repart donc à sa tâche pendant que nous poursuivons la discussion. Lorsqu'elle revient
avec le nouveau contrat à 12 francs :
-Un nouveau regard, noir cette fois
Son patron lui demande de refaire
la page du tarif en mettant 13 francs. Et là, alors qu'on aurait pu croire qu'elle allait
éventuellement pousser un soupir pour faire comprendre à son patron qu'il serait temps qu'il
sache ce qu'il veut, point du tout, elle s'est carrément tournée vers moi avec un regard
indescriptible, mi curieux, mi craintif, les yeux ronds. J'ai vraiment eu l'impression qu'elle découvrait
alors un fou complet. Comment pouvais-je me permettre de demander tant à son gentil patron.
Saviez vous qu'il y a un forum Thomson organise
chaque année ? Ce forum regroupe les dernier passionnés des Thomson. On y parle de nouveautés
(oui, des nouveautés sur Thomson), de démos, de machines (la plupart des machines Thomson sont
toutes exposées durant ces 2 jours) ... Cette année, il aura lieu le week-end du 15 et 16 Octobre a
Paris. Si vous êtes dans le coin ces 2 jours la, pensez vous y aller rendre visite ? |
Je vais tenter de retenir les dates puisque je suis en banlieue parisienne mais sincèrement si vous deviez
m'y voir, ce serait plus pour retrouver des ancêtres de la programmation que ces vieux micro-ordinateurs
Thomson.
Un grand merci à Gilles et son frère Philippe pour leur disponibilité, leur temps et leur gentillesse. |
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