Prehisto a écrit:
J'avais parlé, dans un forum, pour défendre mon point de vue, du "caractère organique de la chiffrabilité", ce qui avait soulevé pas mal de sarcasmes.
Si je comprends bien, tu entends par là que tout dépend de l'interprétation que l'on donne à différents concepts. C'est à ce moment là que tu ne fais plus de mathématiques et que tu ne pourras jamais t'entendre sur ce point avec des « matheux ». Les mathématiques sont la seule science qui ne laissent pas de place à l'interprétation ou à l'opinion personnelle. La notion d'infini y est parfaitement claire et manipulable, il n'y a pas « d'infini absolu » et « d'infini conventionnel ». Tant que tu resteras dans un espace où tu peux interpréter les symboles à ta guise, tu peux en effet prouver tout et son contraire. Concernant ton argumentaire sur la double-signification du signe 'x', une telle chose n'existe pas en mathématiques. Je peux également te prouver très facilement que « 1 = 2 » si je décrète que le signe '=', en plus ou à la place de signifier « est égal à », signifie « est différent de ». Et tout le corps mathématique de s'exclamer, après être revenu du choc de la révélation : "Mais c'est vrai! Il a raison!" ? À partir du moment où il y a plusieurs interprétations possibles, on peut dire tout et n'importe quoi : c'est pourquoi les mathématiques ne l'autorisent pas.
Dans la théorie des nombres, comme la division euclidienne (qui elle-même ne tombe bien sûr pas du ciel

) nous le dit : 1/3 = 0.(3). Exactement, pas de manière approchée, comme tu l'as souligné. Les partisans de ce que tu appelles « l'infini conventionnel » ne font pas de mathématiques s'ils parlent de ce sujet en sous-entendant cette limitation.
Un système formel tel que la théorie des nombres repose sur des symboles, des axiomes écrits avec ces symboles et des règles de production agissant sur les axiomes et les assertions dérivées. Les axiomes sont par définition des assertions vraies. À partir des règles de prodution, on dérive d'autres assertions vraies, que l'on appelle des théorèmes (je ne connais pas vraiment tes connaissances en mathématiques, je ne sais pas très bien si tu comprends toutes les notions que j'utilise, excuse-moi si je suis parfois trop explicite ou au contraire pas assez). On prouve alors « mécaniquement » (démonstrations) que dans ce contexte très rigoureux, le symbole 1 peut être substitué aux symboles 1.00, 1.(0), 4/4, cos(0) ou 0.(9). On ne peut pas faire dire aux symboles ce que l'on veut, ce que l'on « interprète », ce qui est tiré de notre « vision des choses » ou de notre « expérience personnelle ». En contestant ce fait, on conteste la propriété « VRAI » d'un ou de plusieurs axiomes. On pourrait objecter le fait que l'arithmétique est inconsistante, ce qui est vrai, mais on prouve également que l'assertion « 0.(9) = 1 » n'est pas indécidable. L'objection n'est donc pas recevable.
Il faut bien comprendre qu'il n'y a pas « équivalence » entre les mathématiques et le monde réel (pas de bijection, pour reprendre un terme mathématique), et c'est cette indépendance des mathématiques qui fait sa force. Je ne vois pas très bien comment être plus clair.
Ou plutôt si

Un exemple : la géométrie. La géométrie euclidienne a fait autorité pendant 2000 ans. Elle « formalisait » admirablement ce qui se passe dans le monde réel. Elle n'avait qu'un « problème » : le dernier des cinq postulats de départ (axiomes) avait dû en quelque sorte être « ajouté » par défaut (les quatre premiers formant ce que l'on appelle la « géométrie absolue ») parce qu'Euclide n'avait pas pu le démontrer
à partir des quatre autres. Des dizaines de démonstrations, toutes fausses, avaient au cours des siècles suivants été proposées. Jusqu'à ce qu'un mathématicien italien tente au 18ème siècle de démontrer le postulat en le remplaçant par sa négation. Ainsi :
« Par un point donné, on fait passer exactement une parallèle à une droite donnée » (Euclide)
devenait :
« Par un point donné, on fait passer au moins deux parallèles à une droite donnée. »
Il espérait trouver une contradiction, ce qui prouverait le 5ème postulat d'Euclide. Il avait sans le savoir inventé ce que l'on appellerait plus tard la « géométrie hyperbolique ». Et si tu ne fais passer par ce point
aucune droite parallèle, tu fais alors de la « géométrie elliptique ». Le caractère non-intuitif (tu en conviendras) de ces affirmations n'a AUCUNE importance. Elles sont, tout comme les théorèmes qui en découlent, VRAIES dans le système considéré, même si ces théorèmes sont « faux » dans notre monde (entre guillemets, bien sûr, puisque ça ne veut strictement rien dire). Le fait est qu'on a pu, en étudiant ces nouvelles théories, trouver des applications pratiques qui étaient inimaginables en géométrie euclidienne. Ce sont de nouveaux types de géométrie, une bifurcation du courant des mathématiques qui était jusque-là unique. Ce phénomène a fait prendre conscience aux mathématiciens que le « sens intuitif » pouvait les gêner dans leur tâche qui consiste à déduire une chose de certaines autres, sans forcément se soucier de la « véracité » des faits démontrés à l'extérieur du système étudié. Dans ce contexte, la « qualité d'intuition » d'un mathématicien n'est pas celle qui se base sur la vie de tous les jours, mais celle qui se base sur ses connaissances et son expérience de la théorie étudiée, qui n'a, je le répète, aucune équivalence dans le monde réel (ce n'est tout simplement pas ce qu'on lui demande). Un mathématicien peut également avoir « l'intuition » que la modification du jeu d'axiomes ou des règles de production d'une théorie existante pourra être intéressante, créant ainsi une nouvelle théorie. Mais dire que 0.(9) ne peut pas être égal à 1 parce que notre intuition nous le « montre à l'évidence » n'a absolument aucun sens mathématique, tout comme de dire « mais enfin, donner moi une feuille et un crayon, je vais vous montrer que, par un point extérieur à une droite donnée, on peut faire passer une droite, pas zéro, pas deux ni trois, une seule ! ». Comme les géométries, la théorie des nombres n'est pas là pour modéliser ou refléter notre vision des choses.
Je finis en répondant à certains points abordés :
Yoann Riou a écrit:
1-C(->~) = ->0
Donc, je pense que dire que 0.99...=1 revient a faire un arrondi, et qu'en fait, on se rapproche de l'infiniment petit plutot qu'une egalite pure et simple comme 1=1.
Il faut bien comprendre qu'un raisonnement finissant par « Donc, je pense que... » est tout sauf une démonstration mathématique. Pour les raisons que j'ai exposées plus haut, ce n'est pas recevable, ou plutôt on ne parle pas de la même chose. Les notations que tu utilises sont définies rigoureusement en mathématiques. On introduit en particulier comme tu le sais les notions de limite et de séries numériques. Je ne vais pas refaire la démonstration, mais je n'ai pas besoin de te dire ce à quoi on aboutit alors. Je vais répéter que rien ne t'empêche de définir une théorie axiomatique utilisant ta symbolique, tes axiomes et tes règles de production, mais ce ne sera pas la théorie des nombres telle qu'on la connaît, et si elle permet de dériver le théorème « 0.(9) est différent de 1 » (les nombres 0.(9) et 1 appartenant à un ensemble qui serait clairement différent de l'ensemble des réels ou des rationnels que nous connaissons), alors elle risque d'avoir un intérêt limité, voire nul en comparaison de la théorie des nombres.
Yoann Riou a écrit:
Je pense que la meilleur approche pour remplacer ce 0.000...0001 est de dire qu'il tend vers 0, en parallele avec nombre de 9 qui tendent vers l'infini.
Ici, tu définis un système dans lequel un nombre peut « tendre vers quelque chose », dans lequel on « se rapproche » comme tu l'indiquais plus haut. Très bien, mais tu ne fais de nouveau plus de raisonnement sur la théorie des nombres, dans lequel un nombre est fixé et immuable. C'est, comme tu l'as dit, une « approche » ; ce nombre, quel qu'il soit, n'est pas un réel (ça ressemblerait plus à une procédure de construction). Tout dépend du contexte dans lequel on se place. Affirmer « 0.(9) = 1 » ne veut rien dire en soi, tout comme « 1 = 1 ». Il aurait fallu préciser : « dans le contexte de la théorie des nombres, l'assertion « 0.(9) = 1 » est vraie ». En pratique, on ne le précise évidemment pas toujours lorsque l'on fait des démonstrations mathématiques dans une théorie donnée, c'est implicite.
Prehisto a écrit:
0.9| n'est plus "un 0, une virgule et une décimale composée d'un nombre infini de 9" mais plutôt "un 0, une virgule et une décimale composée d'un nombre de 9 le plus grand possible". Or, il n'y a qu'une seule notation pour les deux conceptions. D'où confusion... et vide mathématique.
À la lumière de ce que je tente d'expliquer depuis le début de ce post (et dans les précédents

), j'espère que tu commences à sentir où tu fais erreur. Il n'y a aucune ambiguité en mathématiques, c'est toi qui en introduit une en parlant « d'un nombre de 9 le plus grand possible ». Les mathématiques (et les mathématiciens) ne donnent pas d'interprétation ambigüe à la suite de symbole « 0.9| », « 0.(9) » ou quelle que soit la notation utilisée, à partir du moment où elle est clairement définie (et c'est toujours le cas). Il s'agit bien d'une suite de 9 illimitée dans la partie décimale. Aucune interprétation, aucun « vide mathématique », aucune confusion. Ou alors, il faut préciser dans la démonstration que, par exemple, « '...' désigne la répétition du symbole précédent un très grand nombre de fois, aussi grand que l'on veut ». Dans ce cas, tu ne trouveras pas un seul mathématicien qui te soutiendras que 0.999... = 1. Il va te démontrer avec un grand sourire (ils adorent ça

) qu'il existe une infinité de nombres réels entre ces deux nombres, et qu'ils ne sont donc pas égaux.
Prehisto a écrit:
Il est compréhensible que l'égalité 0.9| = 1 soit mise en devanture. Elle a déjà sa part de sensationnel et reste la plus crédible de toutes, et donc la plus facilement défendable.
J'espère que tu conviendras après tout le mal que je me suis donné que le terme « crédible » n'est pas approprié. Dans un système formel, comme je l'expliquais dans mon post précédent, ce terme peut éventuellement s'appliquer à une conjecture, mais pas à un théorème, qui est par définition « certain ».
Prehisto a écrit:
Mais si l'on accepte que 0.9| = 1, on accepte aussi que 0=1 et que 1+2+4+8+16+... = -1
Pour en revenir aux séries que tu mentionnes, on prouve aisément qu'elle sont divergentes, et qu'on ne peut donc pas sommer tes regroupements en arithmétique classique (la sommation de séries divergentes n'est pas définie, ces séries n'existant pas en tant que nombre). Il existe des méthodes de sommation de telles séries, qui sont décrites de manière tout aussi formelle que le reste des mathématiques, et tu en as ici utilisé certaines. Comme pour les géométries non-euclidiennes, ces procédés ne rentrent en aucun cas en contradiction avec les théories existantes, ils définissent de « nouvelles petites branches », et existent parce qu'ils ont des applications intéressantes en mathématiques ou en physique et que l'arithmétique classique ne comprend pas de procédure de sommation suffisamment puissante.
Reprenons : dans le premier exemple, tu utilises deux regroupements différents, donc deux procédés de sommation différents : chaque résultat (0 puis 1) est valide dans la branche définie par le procédé choisi. Mais tu ne peux bien sûr pas ensuite comparer les deux résultats, puisqu'ils sont issus de deux « théories » différentes. Car alors, dans quelle théorie est définie l'opérateur '=' dans S1 = S2 (ici 0 = 1) ? Par analogie, dans les géométries dont je parlais, il serait alors trivial de prouver en même temps : « La droite (A) est parallèle à la droite (B) » et « la droite (A) n'est pas parallèle à la droite (B) » ; il suffit de se « déplacer » en cours de démonstration d'une géométrie à une autre...
Le second exemple semble plus intéressant, c'est une théorisation d'un « nombre infini », si je puis dire. Ici, on se place clairement dans une théorie où il est possible d'appliquer l'opération de somme et l'opération de différence à des suites divergentes du type donné. Dans ce cas pas de problème, l'entité A est strictement égale à un nombre, et A = -1 (bien que l'on puisse peut-être trouver d'autres résultats finis). De nouveau, pour reprendre l'analogie avec les géométries, on raisonne non plus dans la géométrie euclidienne mais dans la géométrie elliptique par exemple, donc les résultats ne sont ni « plus vrais » ni « plus faux », ils sont différents.
Mais je ne suis pas mathématicien, et je ne connais pas l'intérêt de ce type de calculs (il y en a certainement), il faudrait faire quelques recherches et, après cette longue prose, je n'en ai ni le temps ni le courage...

Une chose quand même, au passage : ces procédés ne sont pas applicables aux séries CONVERGENTES représentées par les nombres du type 0.(9). Pour ceux-là, bien entendu, il n'y a ni mystère, ni vide, ni limitation dans la théorie des nombres : 0.(9) = 1 tout comme, au passage, 27.4558(9) = 27.4559.
Pour résumer donc : tout dépend du contexte...
Edit : eh bien, maintenant que je vois la longueur du post, j'espère que ce ne sera pas en vain !

Le sujet est en réalité très intéressant à discuter (non pas celui de l'égalité « 0.(9) = 1 » - c'est évident

, mais celui de la distinction entre les mathématiques et l'idée que beaucoup de personnes s'en font).